Les petits accidents font des gros bobos, mais pas toujours juste à ceux qui ont mal. Les accidents ont des effets surprenants. Ils nous permettent de découvrir en nous des forces insoupçonnées. Il y a un peu plus d’un mois, nous nous sommes présentés à l’urgence en pensant qu'on avait brisé notre P’tit Clown.
C’était un samedi, quelques semaines avant Noël. Nous avions proposé à Vieille Copine de garder son bébé J pendant qu’elle allait au party de Noël de son bureau. Pendant toute la journée, j’avais fait du ménage. Le lendemain c’était LA journée où j’allais
faire le sapin de Noël. Superpapa et moi avions tout fait en un jour : ménage, lavage, épicerie et j’en passe! P’tit Clown nous avait joyeusement accompagnés et même aidé. Vers 15h, Superpapa me propose d’aller prendre ma douche pendant que lui et P’tit Clown iraient à la S.A.Q. Nous allions recevoir Padou à souper, alors il fallait bien l’accueillir avec un bon petit rouge.
Pendant que j’abusais de l’eau chaude pour relaxer, j’ai entendu P’tit Clown et Superpapa rentrer. P’tit Clown pleurait. Je me suis dit qu’après une journée aussi chargée, c’était normal. Superpapa a cogné à la porte de la salle de bain. Il ne fait jamais ça. Il a passé le nez dans le cadre de porte et m’a dit d’une voix tremblante : « Je pense que j’ai vraiment fait mal à P’tit Clown. »
Dans son regard il y avait tellement de peur que je n’ai pas pris le temps de me mettre une serviette autour de la taille. Je suis descendue à la cuisine. P’tit Clown regardait dans le vide. Son visage était pâle et des larmes coulaient sur ses joues. Je me suis approchée de lui. « P’tit Clown, tu as bobo?» Il a répondu oui en faisant un grand signe de tête de haut en bas. En sourdine dans le brouhaha, Superpapa m’expliquait ce qui s’était passé en essayant de contrôler son affolement. J’ai effleuré le bras droit de P’tit Clown qui ne bougeait pas. Il s’est mis à crier. Superpapa à pleurer.
C’était de sa faute disait-il. Superpapa n’arrivait pas à y voir clair. Il tournait en rond et n’arrêtait pas de dire que c’est de sa faute. J’ai pris une grande respiration. « Appelle Padou pour qu’elle vienne tout de suite, ensuite appelle Vieille Copine pour qu’elle sache ce qui se passe. Dis-lui que Padou va garder bébé J jusqu’à notre retour de l’urgence. Je vais m’habiller et on part ».
Superpapa n’arrivait pas à être clair dans ce qu’il disait aux deux filles, mais elles ont à peu près compris la situation. En fait, il n’arrivait même pas à se préparer pour qu’on parte. Je lui criais depuis la chambre à coucher en enfilant mon pantalon : « Couches, gobelet d’eau, barre tendre, suce, toutou… Est-ce que j’ai dit couche? N’oublie pas la carte soleil… Ah non, c’est vrai c’est moi qui l’ai! »
Mon cœur se s’est fendu quand j’ai mis le manteau de P’tit Clown sur son épaule et qu’il criait de douleur. Mon cœur s’est fendu encore plus quand on l’a mis dans son banc d’auto et que ses sanglots résonnaient dans le froid de décembre. Superpapa était rouge et il pleurait. Moi, je suis arrivée à garder une certaine distance. Je me suis assise avec P’tit Clown et je lui caressais la joue tout en disant à Superpapa qu’il est un bon père et que c’était un accident.
Une fois à l’hôpital nous avons vu une première infirmière qui a évalué la gravité de notre cas. La salle d’attente était pleine, même pour un samedi 15h30. Mais, au moment, où je me suis rassise avec P’tit Clown à la suite du triage, une voix dans l’interphone nous a demandé d’aller dans la salle d’examen.
On se plaint toujours de l’attente dans les urgences. J’y ai moi-même passé plus de 6 heures pour une douleur aiguë au pied un an plutôt. Sauf que, je vous le dis, je vous le jure, rien n’est pire que de se faire appeler en salle d’examen quand on vient à peine d’arriver. Quand on marche dans le corridor qui mène à la pièce et que l’on réalise que l’on a passé devant le gars qui a un doigt dans un bol de glace, la madame avec un sac à sa bouche qui sent le vomi, le petit garçon qui pleure en continu depuis des heures et tous les autres que l’on a pas eu le temps de remarquer, on se rend compte que notre cas est une vraie urgence et que le P’tit Clown qui sanglote silencieusement dans nos bras souffre vraiment beaucoup.
Superpapa a expliqué au médecin qu’il avait voulu aider P’tit Clown à monter la marche de béton qui est devant la porte d’entrée en lui tenant le bras, mais que P’tit Clown avait manqué son élan et que son bras avait craqué. J’avais des frissons en imaginant la scène…
Superpapa avait des grosses larmes dans ses yeux. P’tit Clown se lovait tant bien que mal dans mes bras et le médecin nous souriait avec un petit air moqueur. « Vous lui avez disloqué le coude, c’est le - Bras de la gardienne- » qu’il nous dit tranquillement. Il semblerait que c’est une chose commune, mais très douloureuse. L’adulte tire l’enfant alors que l’enfant va dans l’autre sens et pock!, le coude se disloque.
Il a pris le bras de P’tit Clown qui est devenu aussitôt rouge comme une tomate. Il l’a tourné dans tous les sens dont certains que normalement le bras ne tourne pas. P’tit Clown criait de toutes ses forces et qui frissonnait contre moi de douleur. J’ai finalement senti un tonck dans son bras de P’tit Clown. Le médecin nous dit qu’il reviendrait dans dix minutes, mais que tout était beau. Il nous a fait un autre grand sourire.
P’tit Clown me collait très fort. Très tranquillement sa petite main droite s’est mise à bouger, puis il la levée jusqu’à mon visage. Il souriait. Superpapa a commencé à se calmer. On avait réparé notre P’tit Clown. Il n’était plus brisé. Un peu fragilisé, beaucoup chaviré, mais raccommodé!
Normalement, je perds la tête quand il arrive quelque chose à P’tit Clown. Normalement, j’aurais pleuré et paniqué. Normalement c’est Superpapa qui m’aurait raisonnée en me disant que je suis une bonne maman. Cette fois, ça a été le contraire. Je me suis surprise à rester stoïque devant la situation et à ne pas paniquer même si je voyais déjà P’tit Clown en plâtre pour le temps des Fêtes. Superpapa avait besoin de moi, P’tit Clown avait besoin de moi, alors je me suis présentée au bâton pour mon équipe.
Sur le chemin du retour, j’ai regardé Superpapa qui avait retrouvé son calme. Je lui ai dit « Tu vois, c’est pour ça que nous allons bien ensemble. Quand il y en a un qui panique, l’autre se montre fort. Je suis contente d’avoir été forte ce soir pour toi et P’tit Clown et je sais que tu le seras pour moi quand j’en aurais besoin ».
Superpapa me l’a confirmé, mais m’a demandé tout de même de ne pas faire exprès.
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