Quand j’étais petite une amie à ma maman nous gardait à l’occasion. Quand ma gardienne habituelle ne pouvait pas, quand ses sœurs ne pouvaient pas non plus, alors on faisait tout le chemin de Léry à Sainte-Martine et on pouvait coucher là. Ce qui était génial, car l’amie de ma maman avait une fille qui avait tout juste un an de moins que moi, alors on s’amusait pendant toute la soirée.
J’aimais aller chez Yolande. Sa maison était la plus belle des maisons que j’avais vues. Il y avait de grosses poutres de bois qui sortaient des plafonds. Il y avait de la tapisserie avec de petites fleurs comme l’on voit sur la porcelaine chinoise. Il y avait un mur garni des étagères sur lesquelles il y avait un million de livres. Il y avait un bain sur pattes et une peau de mouton au pied du lit. Il y avait plein de détails qui faisaient de cette maison une maison de poupée grandeur nature.
Yolande était douce avec des yeux brillants. Elle nous racontait plein d’histoires avec sa voix qui faisait de petits bruits aigus à la fin des phrases. Elle avait toujours les joues roses. Je ne sais pas pourquoi - et je me le suis souvent demandé- mais elle avait toujours les joues roses. En plus de sa fille, elle avait un garçon. Il était timide et jouait juste un peu avec nous. Il était le premier garçon adopté que j’ai rencontré et si ce n’était pas de son teint basané, je ne l’aurais jamais su tellement l’amour planait dans cette maison. Il y avait aussi Laurent. Un grand barbu qui adorait sa petite famille. Ses yeux brillaient autant que ceux de Yolande. Lui avait une grosse voix qui roule les r, mais il n’utilisait jamais sa grosse voix pour faire peur, juste pour faire rire. Avec les années, on se faisait moins garder chez eux. Les occasions se faisaient plus rares de voir nos amis, mais ils étaient toujours là dans leur rang à Sainte-Martine.
Yolande était professeur et en cinquième secondaire, j’ai fait exprès de prendre le cours d’histoire du monde en option pour qu’elle soit mon enseignante. J’aime beaucoup l’histoire, mais je savais que si Yolande était mon professeur, l’histoire en serait encore plus intéressante. C’est, il faut le dire, que cette dame belge à vécu en Afrique, en Europe et en Amérique. L’histoire c’est une passion chez elle et elle l'a transmise à des générations d’adolescents qui ont passé sur ses bancs d’école. Je me souviens encore qu’en avant de moi, il y avait Sophie, à côté, il y avait Véro et en avant de Véro, il y avait Stéphanie. À nous quatre, nous dérangions un peu ses cours avec notre potinage. Elle nous avait surnommé le "club de thé". C’était mon cours préféré, j’avais toujours hâte qu’elle nous raconte ses anecdotes à travers la matière à apprendre.
Quand je suis partie étudier à Québec, j’ai eu la surprise de ma vie quand j’ai croisé la fille de Yolande dans un pub. Elle aussi étudiait à l’Université Laval. Nous avons un peu repris contact, mais ça n’a pas duré, faute de temps. Et probablement aussi parce que nous n’étions plus les deux petites filles qui faisaient des spectacles de poupées pour Yolande et Laurent.
Un jour, il y a quelques années de ça, ma maman m’a téléphoné. Yolande avait le cancer. Elle allait faire de la chimio. J’étais triste. Cette amie de ma maman, que je considère aussi comme une amie était malade. Elle a combattu comme une lionne aux joues roses. Elle et Laurent en ont profité pour faire des beaux voyages entre les traitements. Sa fille lui a offert le plaisir d’être grand-maman. Chose qu’elle a particulièrement apprécié. Il y a maintenant trois ans, maman et moi étions allées la voir à Sainte-Martine. C’est là que Yolande m’avait fait des confidences sur le bonheur de voir le visage de sa petite fille et de voir des coins du monde qu’elle rêvait de voir depuis si longtemps. Depuis, elle a des hauts et des bas. Puis un peu plus de bas. Et dernièrement ma maman m’a dit que la fin s’approchait tranquillement.
J’espère la revoir encore une fois. Ses yeux brillants et passionnés. J’aimerais lui présenter mon P’tit Clown. Elle rira tellement de voir qu’il est comme moi. Petit caractère, petit blagueur. J’espère qu’elle sait à quel point elle m’a touchée aux fils des ans. Sa douceur, sa candeur, sa joie de vivre. Il y a des gens comme ça qui font partie de notre vie, qui ont eu un rôle important et qui nous marque. Souvent, quand ce sont des gens de notre enfance, nous perdons le contact, mais pas le sentiment de proximité. Je pense beaucoup à elle et à sa famille. Pour moi, elle fait partie de ma famille. Ce billet est ma manière bien modeste de lui faire hommage.
Il y a 14 heures
6 bouteilles à la mer...:
... tu as réussi à me remplir les yeux de larmes ce matin Evely. Ton billet me touche beaucoup.
Ça vaudait vraiment la peine que tu lui envoie ces paroles sur un papier étoilé...
Evely manque pas ta chance ;) Vas elle sera heureuse de voir ta petite tribu et surtout toi la petite fille de son amie devenue une femme avec plein de talent et de joie de vivre ;) Je pense a toi ;)
Touchant ton message...
C'est un hommage bien écrit et très touchant. Il faut absolument que Yolande le lise. N'hésite surtout pas. Le ciel aura toujours des étoiles mais lorsqu'une de celles-ci s'éteint elle laisse un grand vide et rien ne pourra la remplacer. Heureusement qu'elle pourra continuer à briller dans tes souvenirs.
Wow, c'est magnifique, touchant et ça respire la sincérité. Très bel écrit. J'espère que tu auras la chance d'en faire la lecture à la dame aux joues roses.
@ toutes
Merci pour vos commentaires. Je suis contente de pouvoir partager ces souvenirs et mon respect pour cette amie.
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