Mon frère et moi avions passé des étés entiers à jouer dans notre boisé. Nous restions là jusqu’à la tombée de la nuit. Parfois, nous jouions séparément, mais souvent, nous passions du temps ensemble dans notre cabane qui n’avait pas vraiment de murs. Nous cherchions toujours du matériel pour améliorer notre cabane. Le garage Texaco, qui était de l’autre côté du boisé, nous fournissait beaucoup à leur insu. C’est que pour se débarrasser de leurs vieilles affaires, ils les jetaient dans notre boisé. Nous allions souvent voir ce qu’ils jetaient et nous en profitions pour ramasser les bouteilles de bière afin de les échanger contre des friandises au dépanneur. Nous avions donc un fauteuil en cuir dans notre cabane qui était l’ancien banc arrière d’une voiture. Nous avions des enjoliveurs qui nous servaient de décoration et une vieille boîte en bois qui était notre table. C’était le paradis.
Le printemps, je cueillais des fleurs. Probablement des pissenlits, car je savais que je n’avais pas le droit de toucher aux platebandes de maman. Je les mettais autour de la cabane et de ma roche. Mon frère nous préparait des sandwichs à la confiture et au beurre d’arachide et nous allions les manger sur notre divan de cuir sous les chants des oiseaux et les rayons de soleil. Les petits voisins venaient nous rendre visite, mais c’était vraiment notre coin à nous.
Quand j’y allais seule, j’enfourchais ma roche et je m’imaginais dans un safari sur le dos de mon éléphant. Je rencontrais des indigènes. Mon éléphant-roche courait plus vite que les lions affamés. Je me perdais dans des jungles aux bruits étranges, mais je retrouvais toujours mon chemin quand ma maman disait qu’il fallait rentrer pour souper.
Plus tard, jeune fille romantique, je me promenais dans les sentiers dans l’automne orangé. J’imaginais mon prince qui me faisait la cour sous les arbres perdant doucement leurs feuilles au gré du vent.
Quand j’ai quitté la maison à 19 ans, j’ai refait un dernier tour dans notre boisé. Les sentiers étaient presque impraticables. Nous avions délaissé ce lieu qui était réservé à l’enfance et à l’imaginaire. J’ai retrouvé l’éléphant-roche qui dans le fond avait juste l’air d’une grosse roche parmi les arbres. Quand j’ai quitté la maison de ma maman, c’est un des souvenirs que j’ai gardés avec moi.
Hier soir, P’tit Clown jouait avec les Little people que sa marraine lui a offerts. Il se parlait en faisant des « granse pati bye bye allo dodo pas dodo bisou brasaka ». Il était concentré dans son monde imaginaire. Je le regardais en souriant, mais avec un pincement de mélancolie. Mon vieux boisé me hantait. J’aurais voulu offrir à P’tit Clown un boisé où des histoires pourraient voir le jour. Je sais bien qu’il trouvera le moyen de voguer dans des mondes imaginaires à sa manière. Et je sais bien que, s’il est comme moi, ça ne lui prendra pas grand-chose pour faire des histoires aussi fantastiques qu’invraisemblables. De le voir jouer, je n’ai pu m’empêcher de penser à quel point il aurait aimé mon boisé.
Crédits photo: Licence CC Istargazer
Ce billet a été nommé Coup de coeur par Parenzie.
6 bouteilles à la mer...:
Super billet!! J'adore cette histoire, nous aussi avions un semblant de camp dans le boisée près de chez nous, mais maintenant s'y trouve un quartier neuf avec des dizaines de nouvelles maisons!!!
C'est marrant, j'ai les mêmes souvenirs que toi avec ma soeur :)
Il y a aussi un bois à quelques mètres de chez mes parents mais aujourd'hui, ils sont beaucoup moins jolis qu'il y a 20 ans...
@ fleuvero
Mon copain me montre pleins de nouveaux quartiers quand on va chez ses parents en disant c'était un bois on jouait. Je le vois tout triste quand il me raconte un coin en pointant une maison. Je compatis. J'avais l'avantage que le boisé faisait partit de notre propriété quand j'étais petite. C'était vraiment un luxe et je suis contente d'en avoir profité.
@ MissBroWnie
C'est un nom délicieux ça. J'ai revisité le boisé il y a quelques années de ça. C'est vrai que c'est moins joli qu'il y a 20 ans. Je crois aussi que notre vision à changé ou enfin grandit ;o)
J'aime beaucoup tes histoires :))
Tu as un don de narration magnifique, et en plus tu sembles avoir une belle vie :))
J'avais moi aussi un bois à mois quand j'étais à mon chalet et un terrain vague quand j'étais à la ville. C'est drôle que tu parles de ta roche car moi aussi j,en avai une, j'en ai même parlé sur mon blog lol Moi je mangeais des biscuits soda lol
Mais j,étais presque toujours seule parce que ma soeur était trop petite.
C'est vrai que c'est bien d'avoir un royaume imaginaire.
Le plus drôle c'est que maintenant adulte j'en ai encore un !
http://www.boisestgilles.com/index.html
@ Shaton
J'adore écrire ces petits moments. C'est un plaisir pour moi que de trouver ces instants de bonheur dans la durté de la vie. J'ai en effet une belle vie, mais c'est en grande partie parce que j'ai su l'apprécier.
@ Éléonore
wow il semble être magnifique ce bois. Merci pour le lien. J'ai toujours eu beaucoup d'imagination. Des fois je racontais des choses à ma maman sans queue ni tête, mais avec tellement de conviction et de détail qu'elle arrêtait ce qu'elle faisait pour écouter mes récits. Elle m'a toujours dit que je devrais écrire des contes avec tous ces personnages et ces lieux et j'avoue que je berce le rêve d'un jour le faire...
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