La fille d'un cuisinier

Publié par Evely le jeudi, juin 02, 2011
J’ai grandi dans les cuisines d’un restaurant français. Je me faisais toute petite entre le réchaud à potage, les couteaux de chef tranchants et la viande fraîche qui cuisait sur les flammes du poêle au gaz. Pendant que maman criait qu’elle faisait « marcher la cinq », mon père coupait les légumes à toute vitesse. Mon oncle ajoutait des herbes fraîches dans la sauce et le plongeur s’affairait, la sueur au front. Il faut le dire, dans les cuisines, il fait chaud. Très chaud.

Je m’assoyais sur un sac de patates dans le fond de la cuisine et j’écoutais. Je regardais et je rêvassais au Matou. C’est qu’en arrière du restaurant, il y avait une ruelle. Le restaurant était dans l’est de Montréal, alors qui sait, un ti-cul qui a trop de répartie pour son âge aurait bien pu apparaître à la porte toujours ouverte de la cuisine entre deux conteneurs à poubelles.

Quand l’heure du souper devenait trop intense, ma maman me faisait un signe de la tête pour que je disparaisse. Je partais et descendait dans le sous-sol du restaurant. Mon père avait installé une télévision pour écouter les matchs de hockey entre deux tablées. Frérot grano et moi écoutions Samedi de rire pendant que ça chauffait dans la cuisine. En bas, il y avait deux vieilles chaises de fortune pour nous accommoder. Je préférais m’asseoir sur l’immense tonneau de sucre. Maman avait toujours peur que je défonce le couvercle et que je me retrouve les fesses dans le sucre. Les étagères étaient pleines de denrées en canne. Elles étaient tellement énormes qu’on aurait dit des conserves pour géants. Des cannes si grosses que je n’arrivais pas à les prendre dans mes bras. Évidemment, dans un restaurant, on en passe de la nourriture et il faut être certain de ne manquer de rien. La télé était installée entre deux gigantesques congélateurs. Dans un des congélateurs, il y avait juste de la viande. Des tonnes et des tonnes de viande. C’était dégueulasse de voir les demi-carcasses. Le deuxième congélateur avait deux compartiments. Un qui était pour les poissons. Encore une fois, très dégueulasse de voir les yeux écartés des poissons congelés. L’autre compartiment était réservé pour les pâtisseries que mon oncle faisait. Il était pâtissier de formation. Je n’avais pas le droit d’aller fouiner dans le congélateur… surtout parce que je suis une gourmande incontrôlable.

Quand l’affluence commençait à diminuer, maman venait nous chercher. Elle nous préparait une table dans un coin discret du restaurant et on avait pour consigne de se tenir. Frérot grano et moi nous faisions un plaisir de clouer le bec de certains clients, ceux qui n’aiment pas les enfants dans les restaurants, en étant calmes, gentils et sages comme des images. Bon dans mon cas, c’était surtout que je savais que si j’étais vraiment docile, j’aurais le droit à des profiteroles en dessert ou encore à une crème caramel. Je crois que maman savait qu’on aimait faire comme les grands sans supervision.

J’ai mille et un souvenirs du restaurant. Des flashs de moments qui m’ont marquée. Il y en a deux en particulier que je garde qui me font sourire de temps en temps. J’ai souvent dit que je n’ai pas eu un bon père, mais ces deux souvenirs nous sont communs. Deux moments qui nous appartenaient.

Mon père m’amenait à l’occasion au marché Jean-Talon avec lui. Habituellement, il m’achetait un casseau de framboises et on faisait les emplettes pour le restaurant. Je me souviens des couleurs de tous ces légumes alignés et de mon père qui évaluait la qualité de ce qu’on lui proposait. Je me souviens des sacs qu’on empilait dans la voiture au point qu’il ne restait que les deux bancs d’en avant d’accessibles. Je me souviens des jours de pluie où les parfums des aliments sont rehaussés. Mon père faisait son marché avec un sérieux qui montrait bien que pour lui c’était du travail. Pourtant, pour moi, faire le marché est un grand plaisir.

Mon deuxième souvenir se passait tous les samedis matin. Je me préparais toujours rapidement après les petits bonshommes à la télévision pour que mon père m’amène à l’épicerie de notre quartier afin d’aller chercher les petits produits d’appoint qu’il n’avait pas eu par ses fournisseurs et dont avait besoin pour le restaurant. On repartait avec un poulet rôti qui tournoyait dans les fourneaux du Steinberg’s que l’on allait manger à l’heure du midi avec maman et Frérot grano. Il m’amenait à la banque et dans une pâtisserie où il achetait une vingtaine de baguettes de pain pour la soirée au restaurant et un petit pain au chocolat pour me faire sourire.

Ne me le demandez pas… oui je suis une épicurienne de la nourriture, de tous les types de nourriture. Je vois dans les yeux de P’tit Clown que lui aussi. Je ne pensais pas, mais ça l’air que c’est héréditaire. Je vous ai dit, mon grand-père était aussi pâtissier, c’est vraiment dans notre sang. ;o)

Crédits photo : © Jenn Farr

1 bouteilles à la mer...:

Sébastien Haton on 3 juin 2011 à 05:22 a dit…

J'adore ce message en cuisines ;))
Un ti-cul sur les marches du restaurant, ça me rappelle une chanson de beau dommage que j'aime énormément : "C'est pô facile d'être amoureux à Montréal..."
etc.
séb h.

 

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