
J'ai reçu le
Châtelaine par la poste au début janvier. Je feuillette les pages quand je tombe sur cette photo d’un couple qui tient dans leurs mains un toutou girafe. Ils sourient à la caméra et semblent en paix et heureux. Je lis le début du reportage. Ça disait un truc dans le genre : "Ces parents qui reviennent de l’hôpital les mains vides". J’ai fermé la revue. Je n’ai pas le cœur de lire leurs histoires. Autant que ça me touche profondément quand un parent perd son enfant, autant que là, enceinte, je n’arrive pas à lire ce reportage.
Je ne veux pas savoir que l’on survit à la perte de son enfant. Je ne veux pas imaginer la bassinette vide au retour de l’hôpital. Je vois trop bien tous ces préparatifs qui ne servent plus. Tous ces petits morceaux de linge qu’on a tendrement lavés, pliés et que personne ne portera. Je ne veux pas savoir que le nom de l’enfant était choisi. Ça me fait trop mal.
Est-ce que cela vient du fait que je suis enceinte ? Que je sens mon P’tit Singe me donner des coups dans le ventre, que j’ai choisi la peinture pour sa chambre, qu’on parle de lui comme s’il était déjà là ? Probablement, mais aussi parce que je trouve ça trop cruel et trop injuste. On désire un enfant bien avant sa conception. L’idée monte en nous, nous charme et nous envahit tout doucement. Puis ce moment où les deux lignes se font sur le bâton. La joie démesurée que nous ressentons dans la salle de bain. Et l’annonce que nous faisons à la famille, aux amis, au monde entier comme si personne auparavant n’avait vécu un aussi grandiose moment. Et là, tout perdre. Perdre son enfant.
J’ai suivi et pleuré l’histoire d’Anne-Marie Lecomte. Il y a moins d’un an, son fils s’est enlevé la vie. J’ai pensé à mon P’tit Clown tout plein de vie du haut de ses deux ans. Je me suis dit que son fils devait être comme ça lui aussi à deux ans. Je me suis dit que la vie est fragile. Que si on a la santé physique, on n’est pas pour autant invincible. Je l’ai lu alors qu’elle criait son mal. Son enfant qui n’est plus et elle qui doit continuer. C’est trop cruel et trop injuste.
J’ai une copine qui a fait une fausse couche. Elle était à son premier trimestre, mais elle en a souffert. Elle a refusé de nous voir pendant son deuil. C’est qu’on est trois filles enceintes de notre deuxième. Nous avons toutes les bedons ronds. Toutes à ne parler que de ça. Quand elle a eu le courage de nous dire qu’elle n’avait pas la force de nous voir, j’ai fondu en larmes. Je la comprends. Peu importe à quel trimestre qu’elle était, elle avait son petit bébé et elle l’a perdu. J’aurais été comme elle, je le sais.
Je me souviens toutes les nuits où je suis allée voir si P’tit Clown respirait alors qu’il n’était qu’un poupon. Je détestais la marche entre ma chambre et la sienne. Au beau milieu de la nuit, j'imaginais le pire parce qu’il dormait depuis longtemps. Très longtemps, trop longtemps. Chaque fois que je voyais son torse se bomber sous sa respiration, je pensais à ces parents qui eux n’ont pas eu cette chance.
La vie est fragile. Je la sens dans mon ventre qui fait tout pour se créer et être forte. Je n’ai pas lu le reportage de ces parents sans bébé. Je n’ai pas besoin de le lire, car je souffre pour eux. Je sais qu’ils ont trouvé un moyen pour continuer et avancer. C’est ce qu’on ferait tous, mais je ne veux pas le vivre, je ne veux pas savoir qu’on survit à ça.
P.-S. Ne vous en faites pas. Je sais que ce que j’écris n’est pas de mon usuel
jojo, mais je voulais vous partager cette réflexion. Elle est avec moi depuis la naissance de P’tit Clown, elle me garde en alerte et elle me rappelle la chance que j’ai. Elle me pousse à profiter de ma vie et des vies de tous ceux qui m’entourent.
Crédit photo: Licence CC bzhmatth